MESURE POUR MESURE
Du 3 au 6 juillet 2009
Au calvaire de Trégastel
Mise en scène: Keith Bradford
Régie lumière : Rémi Chagnoux
Régie son : Richard Tolbart
La pièce
« Ne jugez point afin de n’être pas jugés. Car selon que vous aurez jugé, on vous jugera, et selon la mesure dont vous aurez mesuré, on vous mesurera ». C’est à partir de cette sentence extraite de l’évangile selon saint Matthieu que Shakespeare construit une de ses œuvres les plus problématiques, ce « grand poème indéfinissable » qui mêle comédie, tragédie et farce.
Vincentio, duc de Vienne, quitte la ville en laissant le gouvernement aux mains d’Angelo, juge intransigeant sur la morale sexuelle. Claudio, fiancé avec Juliette, la rend enceinte. Pour cet acte de fornication, il est condamné à mort par Angelo. Son ami Lucio rend visite à Isabella, la sœur de Claudio qui veut entrer au couvent et lui demande d’intercéder pour sauver son frère.
Isabella obtient une audience avec Angelo qui lui offre ce marché : il épargnera la vie de Claudio si Isabella couche avec lui. Isabella refuse et va voir son frère en prison pour lui conseiller de se préparer à mourir. Or le duc n’a pas quitté la ville: il observe ce qui s’y passe déguisé en frère mendiant. Angelo ayant précédemment refusé de célébrer ses fiançailles avec Mariana, Isabella lui fait parvenir un mot lui faisant savoir qu’elle a décidé d’accepter mais exige que la rencontre se fasse dans l’obscurité. Mariana prend la place d’Isabella et passe la nuit avec Angelo qui ne la reconnaît pas. Contrairement à ce qui était prévu, Angelo ne respecte pas sa promesse et réclame toujours la tête de Claudio.
L’intrigue se termine par le retour du duc à Vienne. Il entend les revendications contre Angelo et réhabilite Isabella et Mariana. Dans l’intrigue secondaire, Lucio calomnie fréquemment le duc devant le frère Ludovic. A sa grande confusion il découvre que le duc et le frère sont la même personne. Sa punition, comme celle d’Angelo, est d’être forcé au mariage dont il ne voulait pas avec la prostituée Kate Keepdown.
Mise en scène
(commentaires de Keith Bradford)
Peuplée de personnages, tous plus ambigus les uns que les autres, cette pièce expose toutes les contradictions qui traversent chaque homme lorsqu’il est confronté au désir, au pouvoir, à la frustration, à la morale… Luxure ou chasteté, moralité publique ou immoralité privée, justice clémente ou rigorisme aveugle, autant de thèmes qui s’entrecroisent dans ce qui peut apparaître comme une course folle vers la perdition que contemplerait un prince pervers et manipulateur.
Au moment où les intégrismes de tous bords semblent submerger la planète, on trouve sept pays du monde où la fornication est encore punie de mort. A Vienne, ville qui, pour Shakespeare, était aux confins de la chrétienté et pour nous à la frontière du rideau de fer, un ancien empire défend une idée de moralité traditionnelle. Un régime extrémiste menace de s’installer sous la forme d’Angelo.
À travers l’aventure de ce puritain qui découvre la violence du désir, et d’Isabelle qui refuse de sacrifier son honneur pour sauver son frère, c’est le grand théâtre des passions, charnelles, mystiques, politiques qui se met en scène.
Cette pièce est pour moi un questionnement sur la Responsabilité. Le Duc au bord d’une dépression nerveuse fuit les siennes : il joue le rôle d’un moine, presque prêt à renoncer son devoir de chef d’état.
Mais il apprend qu’on ne peut pas se retirer dans une tour d’ivoire, qu’un homme politique doit se laisser toucher par les émotions de son peuple et par les siennes. Ce n’est que quand ce Christ improbable remet les pieds sur terre qu’il découvre l’amour et la responsabilité.
Isabelle, elle aussi, est tiraillée entre ses deux responsabilités, pour le Christ et pour les êtres humains.
J’ai consulté Sœur Catherine du couvent des Clarisses à Nantes qui a très adroitement noté que les réactions d’Isabelle sont loin d’être celles d’une religieuse et pour cause : notre héroïne est encore postulante. Elle n’a pas définitivement résolu dans son âme les conflits entre ciel et société, entre Jésus et Claudio… ou Vincentio ?
Angelo, Claudio et Lucio sont tous les trois dans ce même dilemme. Tous les trois devraient accepter leurs responsabilités envers une femme et un enfant mais aucun des trois ne se décide au mariage.
Et comme toujours avec l’immense Shakespeare, c’est le théâtre qui s’interroge sur lui-même en interrogeant le spectateur sans lui apporter de réponses…